Serge Gainsbourg : Percussions (1964)

Cette semaine dans Roule Galette, je vous propose Percussions de Serge Gainsbourg.
C’est un disque que j’ai découvert très tardivement, parce qu’il était cité par Jean-Michel Pires, le batteur de Mendelson, à l’époque du premier album de Bruit Noir.
Pourtant, je le possédais depuis longtemps déjà, rangé dans le coffret de la première intégrale CD de Gainsbourg — celui avec son ombre de profil sur fond bleu ciel, et l’éternelle gitane à la main.
Les intégrales, qui n’en sont souvent pas vraiment, permettent certes de se plonger dans une discographie, mais elles peuvent aussi être imbuvables avalées cul sec. D’autant qu’au format CD, on se retrouvait avec plusieurs albums compilés sur une seule galette, mélangeant les ambiances et diluant l’unité des disques originaux.
Mon véritable point d’entrée dans Gainsbourg, ce fut donc plus tard : la période anglaise, Bardot/Birkin, et surtout le monumental Melody Nelson.
Pour les premiers disques plus jazzy, je me contentais de piocher quelques titres connus, sans oser l’écoute complète.
Il aura fallu le conseil de quelqu’un que je respectais pour que je franchisse enfin le pas vers ses œuvres plus anciennes.
Percussions sort fin 1964. C’est le sixième album de Gainsbourg, quelques mois avant qu’il n’éclate en composant Poupée de cire, poupée de son pour France Gall, gagnante de l’Eurovision 1965 à Rome.
Comme les précédents, l’album ne trouvera pas son public. À l’époque, il bénéficie surtout d’un succès d’estime grâce au Poinçonneur des Lilas, à La Javanaise ou à La chanson de Prévert, mais reste catalogué cabaret rive gauche.
Il commence à écrire pour France Gall avec Laisse tomber les filles ou N’écoute pas les idoles.
Claude Dejacques, producteur du disque, évoque au dos de la pochette “un rythme de doigts sur le bord d’une table de bois empire”.
Plus prosaïquement, Guy Béart — jamais très tendre avec Gainsbourg — rappellera qu’il avait prêté à Dejacques Drums of Passion de Babatunde Olatunji, dont Gainsbourg a pompé plusieurs titres sans créditer l’auteur.
En 1986, un procès l’y contraindra.
Ce disque est resté longtemps un peu dans l’ombre car il est difficile à classer.
Il est audacieux, presque expérimental pour l’époque : beaucoup de percussions (comme le titre l’indique), des guitares minimales, des chœurs féminins, des textes qui oscillent entre sensualité et provocation.
L’album est parfois considéré comme le premier disque français de “world music”, ou comme un disque d’exotica. Mais dès son deuxième album, Gainsbourg avait déjà tenté quelques pas dans ce sens (Mambo miam miam, Cha cha cha du loup).
Percussions marque aussi la fin de sa collaboration avec Alain Goraguer, qui en gardera pourtant un souvenir joyeux : « Nous nous sommes amusés comme des fous, surtout quand on montrait aux choristes françaises comment prendre des voix de négresses un peu aiguës. En dehors d’un sax et d’une guitare rythmique, sur certains morceaux, ce ne sont que des percussions… »
À titre personnel, je ne pense pas que j’aurais pu entrer dans ce disque si je n’avais pas déjà écouté d’autres albums, pourtant éloignés stylistiquement, mais qui partagent un même minimalisme : Flowers of Romance de PiL, les disques de Bruit Noir, ou encore Guem et Zaka Percussions.
Historiquement, Percussions marque un tournant : Gainsbourg commence à sortir du rôle de chanteur rive gauche pour devenir un vrai touche-à-tout, prêt à explorer d’autres univers musicaux, ce qui annonce la suite de sa carrière.
Pauvre Lola : titre volé à Myriam Makeba, avec les rires inimitables de France Gall. La guitare et les percussions sculptent l’espace sonore, et ces rires préfigurent ceux de Jane Birkin dans En Melody.
Machin Chose : un retour subtil aux ambiances rive gauche, moins percussif mais tout aussi captivant. Une chanson qui se vit plus qu’elle ne s’explique.
New York USA : classique de l’album, dérobé à Olatunji, uniquement basé sur percussions et chœurs féminins, un exemple parfait de l’audace sonore de Gainsbourg.
Les Ambassadeurs : toujours percussif, mais cette fois avec un clin d’œil à la samba et à l’arrivée de la musique brésilienne en France, quelques années après The Girl From Ipanema.
Ces Petits Riens : morceau repris par Don Nino, dont le batteur n’est autre que Jean-Michel Pires, bouclant ainsi le cercle de mes découvertes musicales.
Avec ces 5 titres, vous avez un bel aperçu de l’inventivité et de l’audace de Percussions ! Et on se retrouve la semaine prochaine pour une autre galette sur votre radio favorite.
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